Antoine Pierre Fraissinet (1749-1808) « Le consul »

Antoine Pierre naît à Marseille le 21 décembre 1749 et meurt à Alger le 14 août 1808. C’est sa mort qui le rend, en quelque sorte, célèbre. Négociant à Alger, il devient Consul de Hollande dans la même ville, ce qui lui vaut son surnom de « consul » dans la famille. Comme tous les autres consuls de l’époque en Alger, Antoine Pierre doit donner, au nom de l’Etat qu’il représente, un tribut régulier au Dey pour se concilier ses bonnes grâces et garantir la paix. La Hollande se distingue des autres nations par la magnificence de ses dons .

Alger 1790

Alger 1790. Source:mesidéesdecadeaux.com

 

Les archives hollandaises (1) parlent ainsi de  « deux dons annuels, composés d’or, de montres de bagues serties de diamants , linge, damas, thé, sucre, etc. dont la valeur peut atteindre 20.000 florins. » La pratique des cadeaux est systématique envers le Dey, les envoyés du Sultan, les hauts fonctionnaires, le capitaine du port etc…Ils servent aussi à prévenir la piraterie ou à permettre la libération des esclaves chrétiens.

Piraterie et esclavage représentent encore en 1807 un problème récurrent et une grande partie de l’activité des consuls postés en « Barbarie » comme on appelait la côte africaine à l’époque, consiste à protéger les intérêts commerciaux des nations qu’ils représentent mais aussi à racheter les esclaves chrétiens et à prévenir du départ de bateaux corsaires barbaresques. Sur la traite des esclaves chrétiens qui dure jusqu’en 1830, les problèmes liés à leur rachat, voir ici et ici. Quand  la situation devenait intenable, les puissances européennes attaquaient les ports barbaresques Tunis, Tripoli et Alger.

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Jan Goeree (1670-1731)&Casper Luyken (1672-1708) Amsterdam’s Historic Museum Wikimedia Commons

 

En 1807, le nouveau Dey d’Alger, Ahmed, oblige Pierre Antoine à envoyer son fils Antoine Joseph en Hollande réclamer un « grand cadeau » en échange d’une garantie de paix. Ce cadeau devait comprendre des mâts de bateaux ( la Hollande vendait des armes et des équipement au Dey). La réponse se faisant attendre, Ahmed montre sa mauvaise humeur en faisant mettre aux fers Pierre Antoine, le 29 avril 1808 .

« En route pour la prison Fraissinet fut à plusieurs reprises si brutalement poussé qu’il faillit tomber. Au bagne il ne se retrouva pas seul dans une cellule mais, à son horreur, parmi les esclaves et 150 Algériens enchaînés. Les autres consuls se hâtèrent de se rendre au palais pour protester contre ce traitement d’un collègue âgé et hautement respecté. Ils furent renvoyés par Ahmed qui déclara que Fraissinet méritait de mourir en prison comme un chien. Pourtant, le dey, calmé, le libéra trois jours après, donc le 2 mai. Ce bref séjour avait coûté à Fraissinet six  mille florins. Rentré chez lui, il était si affligé par le traitement indigne qu’il mourut en septembre de la même année... » (2)

« Cette scène était toute récente lorsque Arago arriva. Madame Fraissinet était encore malade de la frayeur qui l’avait saisie lorsqu’elle avait vu les chaouchs du divan s’emparer de son époux malgré ses larmes et celles de ses enfants éplorés » (8)

La même aventure était arrivée peu auparavant à l’amiral Ulrich, consul du Danemark (3) qui participera à la succession d’Antoine Pierre (5).

Ces mésaventures n’empêchèrent pas son fils ainé, Antoine Joseph (1785-1864), d’accepter la succession de son père comme consul de Hollande à Alger.

La vie pour les diplomates était agréable quand elle n’était pas exposée aux foudres du Dey. Elle se passait dans  » la vallée des consuls » aux portes d’Alger. La ville elle même toujours enserrée dans ses remparts était insalubre et dangereuse aux yeux des occidentaux qui vivaient donc en dehors. Les consuls des diverses nations profitaient de la douceur de l’hiver pour donner de grands bals auxquels assistaient les grands de la Régence et dont on trouve une description dans les aventures du scientifique François Arago en Algérie (3).

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Les jardins du palais du Dey à Alger. Théodore Frère.

Comment Antoine Pierre était-il devenu consul ?

Eliane Richard (4) nous donne une explication

« Depuis le milieu du XVlIl’ siècle les Fraissinet de Montpellier et de Marseille avaient noué des relations commerciales avec la Régence (i.e. le gouvernement d’Alger)  vers laquelle ils expédiaient quelques voiliers; mais c’est à leurs liens familiaux avec les Fraissinet de Hollande que plusieurs des leurs doivent d’avoir occupé le poste de Consul des Pays-Bas à Alger. L’un des fils de Jean (Fraissinet), Jacques, avait épousé sa cousine hollandaise (Fraissinet Van Arp), Henriette. Ses deux frères, Jean-Marc et Antoine sont alors successivement désignés par les Etats Généraux des Provinces Unies pour les représenter auprès du Dey… Sa nombreuse correspondance établit la variété des affaires traitées et la persistance des liens familiaux tant avec ses frères demeurés à Marseille qu’avec ses cousins de Hollande…

De fait le fonds Fraissinet fait état de six lettres écrites à ses frères entre 1786 et 1798  dont une datée de 1789 qui demande qu’on lui fasse état de « tout ce qu’il y aura de nouveau au sujet de la révolution en France ».

En 1790, Pierre Antoine adresse une lettre à Georges Washington. Elle  est acheminée par ses frères Jacques et Jean de la compagnie Fraissinet. Les cousins qui vivent aux USA peuvent peut être essayer de trouver ce que contenait la lettre d’Antoine Pierre.

Marseille [France] Le 19. mars 1790.

Monseigneur
Nôtre frere Consul General de LL: HH: CC. à Alger vient de nous adresser L’Incluse pour Vôtre Excellence, nous nous empréssons de vous l’acheminer et de vous présenter l’hommage des Voeux que nous adressons au tout Puissant pour la Conservation des Jours de Ve. E. à la quelle le Bonheur du Peuple Genereux que Vous gouvernés est si etroitement Lié. Nous Sommes avec un respectueux attachement Monseigneur De Vôtre Excellence Les trés humbles et trés Obeissants Serviteurs
III Jn Marc & Js
Fraissinet & Cie
Source : http://founders.archives.gov/documents/Washington/05-05-02-0163

1790 c’est l’année où Jefferson demande au congrès la construction d’une marine de guerre afin de protéger les marchands américains commerçant en Méditerranée des attaques des corsaires barbaresques. Pour connaître l’histoire de l’US Navy qui fit ses premières armes en Méditerranée comme on l’oublie trop souvent cliquez ici.

A l’époque de l’expédition française en Egypte (1798), la Porte ordonna au Dey d’Alger de déclarer la guerre à la France. Il finit par obtempérer, à contre coeur semble-t-il, emprisonne le consul, expulse les français des comptoirs de Bone (Annaba aujourd’hui) et de La Calle. Jusqu’à la signature de paix de 1801, nous trouvons trace d’Antoine Pierre  le « consul batave » qui sert de truchement entre les deux Etats. Les lettres du consul de France Dubois Thainville à Talleyrand donnent un bon aperçu de la situation. Vous pouvez les lire ici notamment celle du 23 germinal an IX.

En 1802, Antoine Pierre reçoit la nouvelle du naufrage du navire français « Le Banel »  qui donna naissance à la légende de Mama Binette. 

E. Laval m’a gentiment envoyé une copie d’une lettre d’Antoine Pierre consul de la république Batave à son collègue consul à Tunis. Remarquons que la lettre est rédigée en français et non en néerlandais.

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« Pendant son séjour en Barbarie, Antoine avait noué des relations avec les consuls étrangers ce qui devait élargir encore le cercle des alliances Fraissinet dans le milieu protestant de l’Europe du Nord. Antoine marie sa sœur, Jeanne, au Consul de Danemark et de Norvège, Nicolas Suenson, natif de Bergen et son fils, Auguste, à la fille de l’agent consulaire suédois, (Johan) Nordeling. Ainsi les Fraissinet de Montpellier, de Hollande, de Marseille et d’Alger auront-ils désormais des cousins scandinaves. »

Il faudrait rajouter de possibles intérêts dans les Antilles car Johan Nordeling, consul de Suède à Alger entre 1808 et 1810 était auparavant juge à Saint Barthélémy  (alors possession suédoise) où il retourne en 1819 comme gouverneur de l’île. Notons que l’un de ses autres enfants, Louis, meurt en Guadeloupe en 1826, année de naissance (hors mariage) de sa fille Georgine. « Emmenée à Marseille par sa grand-mère (de Mont d’Or) en 1831, Georgine y épousera 1846 Elysée Eugène Fraissinet, fils de Jacques Marc Fraissinet, frère de Auguste Antoine, et petit-fils de Antoine Pierre. Elle a probablement été élevée par la soeur de Louis, Adélaïde Marguerite Edla Nordeling (Fraissinet), dont elle est la nièce« (6).

Antoine Pierre avait épousé Claire Chaix (Marseille 1760-Marseille 1846) – fille d’un tonnelier de Digne, Antoine Chaix (1730-?) et d’Anne Gabriel (9) – qui lui donna neuf enfants dont Henry. Ils naissent à Alger sauf Auguste (Marseille), et les trois derniers Philippine, Henry et Suzette (Livourne) ce qui fait penser à une installation ou des séjours fréquents en Italie pendant au moins 7 ans (1793-1799). Pour quelle raison? La Terreur sévit à Marseille où Jacques Rabaud, l’un des nombreux cousins de Pierre Antoine est guillotiné en 1794. Mais Claire et Pierre Antoine sont censés être à Alger. Peut-être eurent-ils besoin de séjourner à Livourne pour affaires. En fait, il pourrait s’agir aussi d’éviter l’épidémie de peste qui a ravagé l’Afrique du Nord en 1793.

Après la mort de Pierre Antoine « Antoine Joseph le fils aîné, nouveau consul, se rendit à Marseille où il constata qu’à cause des activités de la flotte anglaise en Méditerranée nul navire ne se rendait à Alger. Il y fut rejoint par sa mère et ses frères et soeurs (dont Henry) qui n’avaient plus aucune raison de rester à Alger. Après l’annexion des Pays-Bas par Napoléon en 1810, toute la famille choisit de s’établir à Marseille « (4).

Sources:

(1) « Nieuw Nederlandsch biografisch woordenboek » Deel 6  par P.J. Blok, P.C. Molhuysen (1924)

(2) « Corsaires et marchands. Les relations entre Alger et les Pays-Bas (1604-1830) » par Gérard Van Krieken. Bouchène ed. 2002

(3)  « La Mesure du mètre, dangers et aventures des savants qui l’ont déterminée », par W. de Fonvielle.  Hachette ed. 1886 et ici

 

(4) Un siècle d’alliances et d’ascension sociale: les Fraissinet,  par Eliane Richard. Provence historique. 1985.

 

(5) 5.a Requête de la dame veuve Antoine Pierre Fraissinet née Chaix Claire et de son fils Jean Antoine Fraissinet, adressée à Charles François Dubois-Thainville, commissaire et consul général de l’empire Français à Alger, aux fins d’ordonnance d’inventaires des biens et effets dudit sieur Antoine Pierre Fraissinet, consul de Hollande à Alger, décédé dans ladite ville le 14 août 1808 (Alger, 25 août 1808).

5.b Ordonnance d’exécution prise par Charles François Dubois-Thanville, consul général de France à Alger (Alger, 27 août 1808).

5.c Procès-verbal d’inventaire des effets, meubles, papiers etc. de l’hoirie de feu monsieur Pierre Antoine Fraissinet, consul de Hollande à Alger et la remise faite des effets inventoriés à Madame veuve Fraissinet née Chaix, Monsieur Jean Antoine Fraissinet fils majeur et Charles Hyacinthe Crest comme tuteur subrogé à défaut de conseil de famille pour surveiller les intérêts des enfants mineurs, pris par Charles François Dubois-Thainville commissaire et consul général de l’empire français à Alger, assisté de Johan Norderling, consul général de Suède à Alger et Georges Fréderich Ulrich, consul général de Danemark à Alger, et enregistré par Jean Joseph Roch Ferrier, chancelier du consulat de France à Alger (Alger, 3 octobre 1808). AOM . Aix en Provence.

(6) Elements bibliographiques sur la famille Nordeling ici

(7) Un site intéressant sur l’histoire de l’Algérie ici

(8) Fonvielle, Wilfrid de (1824-1914). La jeunesse d’un grand savant républicain / Wilfirid de Fonvielle. Gaillard ed. BnF

(9) Geneanet prenividaud

 

Image à la une: The_Dutch_in_Tripoli par Lieve Pietersz Verschuier

 

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